Corse-Matin du 4 mars 2021
L’Ile-Rousse
SPELONCATU
Dans l’ancien couvent, l’atelier du restaurateur Nicolas Poli
JEAN-FRANÇOIS PACELLI
Enfant de Speloncatu, Nicolas Poli vient de succéder à sa mère Ewa à la tête d’une petite entreprise familiale de restauration du patrimoine. OLIVIER SANCHEZ/CRYSTAL PICTURES
Dans un ancien couvent Franciscain bâti à la fin du XVIe siècle, une vaste pièce abrite des tableaux sacrés et quelques statues. Il y a une Donation du Rosaire provenant de l’église de Valle d’Alesani, ou encore un ange décroché du retable de celle de Piana. De toute l’île, des objets du patrimoine religieux de la Corse sont acheminés vers Speluncatu pour y être restaurés. Cette grande pièce dans l’aile d’un couvent désaffecté, c’est l’atelier de Nicolas Poli, un enfant du village devenu restaurateur du patrimoine dans la continuité de sa maman Ewa. Voilà bientôt 40 ans que la petite entreprise familiale opère.
« C’est ma mère qui a fondé la société, en 1983. J’avais 2 ans à l’époque, raconte le jeune chef d’entreprise. J’ai toujours baigné dans ce milieu. Quand l’été, mes amis allaient travailler pour se faire de l’argent de poche, moi j’accompagnais ma mère sur des chantiers. La première fois que j’ai pris part à une restauration, c’était à Fozzanu, en 2001. J’ai fait des études universitaires qui n’ont rien à voir avec la restauration d’art : un master de lettres, une licence d’administration publique et un master de management des entreprises. Finalement, c’est uniquement la pratique qui m’a appris mon métier de restaurateur du patrimoine. »
La petite entreprise emploie aujourd’hui 4 personnes en CDI. Nicolas en est le directeur et le gestionnaire, mais il est surtout un spécialiste des décors peints. Son équipe est composée d’une restauratrice en stuc et décors peints, d’une aide restauratrice en objets mobiliers et d’un maçon spécialiste de la chaux. Pour remplacer Ewa Poli, qui vient de partir en retraite, un prestataire de services assure la restauration des tableaux. Avant le retour d’Ewa, dans le cadre d’un cumul emploi retraite.
La société est en pleine mutation. Nicolas Poli est désormais inscrit à l’école de l’art La-Cambre, à Bruxelles en Belgique, afin de faire valoir une Validation des acquis de l’expérience (VAE).
Il cherche également à trouver de nouveaux collaborateurs.
« Les salariés de l’entreprise sont plutôt de la génération de ma mère. Ils ne sont plus très loin de la retraite et il va me falloir trouver des gens compétents et motivés pour les remplacer. C’est un métier passionnant qui est aussi exigeant et difficile. Il faut bouger dans toute la Corse et passer des semaines entières loin de chez soi. C’est un métier où l’on ne s’ennuie pas. Il y a seulement cinq restaurateurs de tableaux sur l’île et trois entreprises qui restaurent les décors peints et les fresques. Avec plusieurs centaines d’églises et de chapelles sur l’île, il y a vraiment de quoi faire ! »
Le choix du rural
Nicolas Poli partage sa vie privée entre ses attaches en Balagne et Ajaccio où résident sa compagne et leurs deux filles. Déplacer l’entreprise vers la capitale régionale aurait sans doute été un choix de facilité. Mais il était hors de question de s’éloigner de son village d’origine et de la demeure familiale, cet immense couvent construit par les frères capucins, et qu’ils ont mis tant d’énergie à restaurer.
« Mes parents se sont rencontrés à Paris alors que mon père étudiait à la Sorbonne et ma mère aux Beaux-Arts. Ils sont rentrés vivre au village quelques semaines avant ma naissance. On a d’abord habité la maison de famille, dans le village, avant que mon père ne rachète le couvent à Jean-René Guerrand, le patron d’Hermès, en 1992. Heureusement, ce dernier avait fait réaliser un chaînage des murs, sans quoi le couvent se serait effondré. Mais le toit prenait l’eau et le travail à faire était faramineux. Il y a environ 400 mètres carrés de surface, sans compter le cloître. En réalité, les travaux ne s’arrêtent jamais. »
Vivre dans une demeure patrimoniale et y restaurer des objets sacrés, c’est le choix d’une vie hors du commun pour Nicolas Poli. Une vie qu’il n’échangerait sans doute pour rien au monde…